Pouce pousse
Le rituel de la chance: gagner le terminus de la ville, glaner un bout de carton dans un super marché, prendre de quoi survivre, regarder la carte, choisir une ville qui apparait aussi sur les panneaux d’autoroute, l’écrire au marqueur, trouver un feu rouge avec un endroit pour embarquer, lever le pouce et arborer le sourire le plus radieux possible. Les premières minutes sont immanquablement marquées par le scepticisme des passants ayant assisté aux prépararifs et il me gagne presque. Mais au premier conducteur qui jette un sourire la confiance revient et je crois dur comme fer à mon heureux destin.
En stop vous avez une fraction de seconde pour convaincre, tout se passe au moment où votre regard traverse un pare brise et croise celui de l’individu au volant. Le moindre doute se sent. Seul argument, votre mine, l’unique chance d’allumer le clignotant et de provoquer le freinage du salut. Le stop est la démonstration implacable que l’attitude fait toute la différence.
L’autosourieur est néanmoins confronté à deux périls. Numéro 1, la pluie. En plus de le mouiller, elle n’éveille aucune compasion chez le conducteur bien trop occupé à jouer avec ses essuie-glace. Elle limite sa visibilité et avec elle ses chances de voir le sourir forcé que vous lui tendez. Numéro 2, la nuit. Messagère du froid, elle n’est pas l’amie de l’autostoppeur qu’elle fait passer pour un individu étrange et suspect.
J’ai trainé pas mal de temps dans des endroits peu coquets, des stations service aux zones industrielles, mais je pourrais au moins dire que j’ai une certaine idée de ce à quoi ressemblent les periphéries européennes où les gens qui ne font que passer passent quand même beaucoup de temps. De Paris à la campagne Lettone j’ai le sentiment d’avoir roulé plus qu’attendu. Mon sauveur s’est toujours pointé en moins de deux heures, toujours avant que j’arrête d’y croire. Et à ce moment là, toujours la même euphorie de prendre place dans ce petit habitacle douillet où la conversation s’engage à coup sur.
Avec Lydie, orthophoniste itinérante ; avec David, chef d’escale végétarien qui fait du yoga, du jetski et qui ne prend pas l’avion parcequ’il aime trop sa région de Trève. Avec Wolfgang à 190 à l’heure ; avec Sylvester qui me compare à l’homme tronc qui fait le tour du monde sur un skateboard et me dit qu’il aime bien les chiffres parcequ’il est légèrement autiste. Avec Bogdan, à moitié sourd et nullement anglophone, qui me beugle en vain du polonais à travers la cabine de son camion citerne avant de maudir la situation autant que d’en rigoler. Avec Emilia et Mateos jusqu’à Radom, techno à fond et pannes récurentes avec le sourire alors qu’ils vont dejeuner chez les parents pour les premières presentations avant le mariage. Avec Arthur qui a appris l’anglais en ramassant des citrouilles dans la plus grande exploitation de Grande Bretagne. Avec Yann, Edith Piaf, des fraises et de la ruccola du jardin jusqu’à Bialystok. Avec Robert qui préfère les snickers que les fraises. Avec une famille jusqu’à Kaunas, coffre blindé de saucisson, padre à moustache Staline qui fume slim sur slim ; avec Hetso, en chariot. Avec ces 33 bonnes ames qui se sont arrêtées pour enchanter mes kilomètres avec leurs histoires.
Se deplacer en stop prend un peu plus de temps, bien qu’il y ait des stations partout et que les horaires de passage soient imbattables. Mais le stop est plus qu’un déplacement, c’est le parfait alibi pour faire connaissance. Ne nous privons pas.