Transit visa

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Sur le pont inférieur, un train de marchandises. Au dessus, trois capitaines, quatre moussaillons, deux femmes de ménage, un cuisto et son commis. L’unique passager se paye un bain de soleil en laissant la brise souffler sa fièvre depuis le toit de l’Azerbaijan qui fait voler ses 135 mètres de rouille cent fois repeinte sur les vagues salées de la Caspienne.

 
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Derrières les quelques hublots habités, on entend le fer grincer comme du bois contre la houle, on se laisse gouverner, porter, tanguer, on se détend, on divague. Je me demande ce que je flotte au milieu de cette mer et me rappelle que je continue mon contournement du Turkménistan. Je transite, c’est ce que dit mon visa azeri. Comme si la route servait juste à relier deux points. La route c’est plus important que la destination parce que la route, c’est la vie ; si vous n’y croyez pas autant bâcler, prendre l’avion et filer droit vers la fin. Je sais pas, mon esprit tangue comme le ferry.

 
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Il flotte à Baku un parfum d’Europe, des vieilles rues avec des passants entre des batiments de pierre taillée. Pendant que je me paye des tueries enroulées dans des feuilles de vignes le patron me fait un cours de géopolitique en me parlant des kurdes, des turcs et du mauvais voisinage des arméniens qui sont aux azeris ce que les ouzbeks sont aux kirghizes. Ici, on regarde vers l’ouest.

 
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Le dictateur bien aimé du coin est un bâtisseur et il promeut la modernité à grand coups de pelleteuse.

 
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Le petit vieux Bakou derrière les murailles a pour sa part été bien ravalé pour le tourisme mais mon esprit de contradiction underground me chuchote que j’en apprendrai plus sur Bakou dans les tunels de son métro. Le métro, c’est le musée de l’Homme: un échantillon gratuit de visages, d’expressions, de corps, d’accoutrements et d’attitudes exposés les uns à côtés des autres. Encore un nouveau pays tiens, ça fait quoi d’être en Azerbaïdjan? Ce sont toujours les mêmes humains mais ceux d’ici ont ces noms de station là, cette façon de dire bonjour, ces héros nationaux sur ces billets de banque, ce pain là, cette langue avec ces sons. Comment ça se fait qu’ici les gens fassent ces sons là et que là bas ils parlent avec la gorge? C’est fascinant dans le fond.

 
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Le métro allait pour moi et quand j’en sors je sais plus où je vais. Soudain je me dis que je ne voyage plus, j’erre. Merde. Là, il y a rien qui m’émeut, je me bats plus, je photographie sans m’appliquer, je creuse pas, je vais plus chercher les sujets, je me trouve des excuses, j’écris moins sur ce que je rencontre que sur les phases que je traverse. Cette mobilité incessante et cet eternel renouveau que j’étais si sûr d’aimer n’etaient-ils pas sensés immuniser contre cette lassitude? Est-ce qu’il y a une routine de la route?

 
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Dix minutes plus loin je suis promené par un bus, le soleil de 15h rétrécit les pupilles et chauffe les joues. Il y a des gamins adorables et des mamans adorantes et je suis bien. C’est pas si mal d’errer un peu tiens. L’absence d’objectif  laisse toute la place au présent, on vit l’instant comme jamais et en même temps on n’en fait rien de spécial. 

 
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Bref, ça fait bientôt deux jours que j’ai debarqué mais ça tangue encore, je vais prendre le train de nuit pour la frontière.

 
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Le temps de petit déjeuner les portes se sont fermées, la première vague poirote derrière la grille qui ne se rouvrira que dans 5 heures. J’attends au milieu d’une foule d’azeris qui fait ça tous les jours parce que pour une raison qui me dépasse les fringues se vendent 10 fois plus cher en Iran et la seule façon de les passer c’est de les filer à ces gens par paquet de trois kilos. C’est 13 dollars à chaque coup de tampon et à chaque paquet délivré, il y a des centaines de candidats. Je m’y prête aussi et empoche mon dû sans en revenir. En Iran c’est déjà entre chien et loup, trop tard pour le stop. J’accompagne un compagnon d’errance sympatique jusqu’à apprendre qu’un bus de nuit part pour Téhéran, je m’en remets une fois de plus à la route et m’endors en rêvant de me réveiller enfin quelque part sous le soleil du sud.