Transibernage
14 aout, 13 h 08: je pars pour le plus long voyage en train que j’ai jamais fait. Il règne dans le 17ème wagon une atmosphère de patience, le regard des gens dit qu’ils sont conditionnés pour rester longtemps dans cet espace exigu mais confortable alors que démarre le métronome serein des roues d’acier sur les rails infinis.
Aux arrêts, les babouchkas ne vendent pas que des casse-croutes: vaisselle et sculptures de verre kitchissimes sont de la partie, je vois même passer un lustre et des amphores pseudo greques, shopping peu commode pour une escale de 20 minutes, mais si elles sont la c’est qu’il doit y avoir des voyageurs qui arrivent a destination avec de beaux cadeaux. Le mécanicien passe en revue les wagons en tapant sur les flancs d’acier, il a l’oreille.
Eye contact tres serieux avec une passagère du compartiment voisin. Elle descend à Kazan, dans 322 kilomètres que je consacre a une gentillette drague au google translate puisque nous ne partageons aucune langue.
Le lendemain la chaleur monte encore tandis que perlent les goutes sur les tronches empâtées des habitants du transibanya. Je vais tuer le temps au wagon bar avec une biere en observant un type alcoolisé qui fait une cour peu subtile a une grosse dame trois tables plus loin.
Le wagon bar ferme, je retraverse le train, les deux couchettes qui me font face sont occupées par des vieux couche tot presaue au bout du roulot. En bas, chaque ronflement de mamie semble être le dernier et en haut papi a la bouche ouverte d’un type qui vient de caner d’étonnement. Je m’en remets pour ma part à l’éternelle berceuse qui m’emporte vite.
Deuxième réveil dans le meme train train. Le matin plus qu’à n’importe quel autre moment le jeu est de traverser le long couloir jusqu’au samovar en evitant les pieds. Les couchettes doivent faire 1m70 et beaucoup de gens dépassent.
Les deux hôtesses qui s’occupent de la voiture 17 sont épatantes. Elles savent précisément quel voyageur s’arrête ou, viennent rendre leur billet quand ils s’en vont, maintiennent une propreté impeccable malgré la relative surpopulation. Elles tiennent leur wagon, tres souriantes dans leur petit bureau en face du saint samovar.
Par la fenêtre, toujours des arbres, jamais les memes. En quittant Moscou, de grands feuillus, dominante de chênes. Ensuite revoilà la forêt de pins trouée de quelques plaines qu’on imagine gelées l’hiver. Avant Ekaterinbourg, nous voyons les lacs et les colines de la region de l’Oural, tres joli. Plus tard, en arrivant vers Omsk c’est le boulot qui reprend du service en tranchant de son tronc blanc la verdure de la fin de l’été.
Après mon arrêt à Omsk, nouveau train, nouveaux voisins: une mère et sa fille. Et Serguei qui monte à Tatarsk. Au premier abord sympatique, ce nouvel ami qui continue de me parler comme si je comprenais le russe, se révèle olfactivement assez envahissant. En une demi heure il s’envoit et rote abondament deux bières ponctuées du triple de cigarettes et la conversation devient de plus en plus nauséabonde. Quand il finit par regagner sa couchette il gratifie son entourage d’une flatulence dans la continuité du reste, Serguei est dans le train comme à la maison. Quand enfin Novosibirsk apparait, je l’aide a trimballer son sac jusqu’à l’extérieur de la gare et il me donne une amicale accolade, ce n’est pas un mauvais bougre.
J’aime bien ma compagnie, en face, un genre de Tati Danielle avec sa fille qui sont très attentionées l’une envers l’autre et avec moi dès que possible malgré qu’on ne partage pas un traitre mot. Le sourire est bien pratique et j’en abuse. De l’autre côté du couloir, mère et fille aussi, les mêmes avec 25 ans d’écart, le visage dur mais adorables, qui continuent à m’expliquer ce qui se passe par la fenètre même si je ne bite presque rien. On discute, c’est juste qu’on se comprend pas, c’est déjà ça.
Demain matin je serai déjà à Irkoutsk. C’est trop court en fait comme trajet. Loin d’être éprouvant, le voyage en transibérien est un moment de paix royale, où ne rien faire est permis plus que nulle part ailleurs puisqu’on a ce confortable prétexte de voyager. Tuer le temps devient une réussite, un accomplissement. Le temps d’ailleurs, ne compte plus, l’heure de Moscou, la seule utilisée est de plus en plus dérisoire, il fait nuit à 15 heures, il y a le temps du voyage et c’est le seul qui compte. Là dedans faites ce que bon vous semble. C’est chouette ce train, j’aimerais bien faire plusieurs fois le tour de la terre avec.