Tachkent
Émergeant avec peine d’une nuit kazakh plié dans un bus, me voilà en Ouzbékistan, nouveau tampon. Le comité d’accueil est assuré par d’innombrables marchands de taxis auprès desquels l’ignorance est plus efficace que le refus verbalisé. Le deuxième métier ouzbek, c’est policier.
Le moindre passage sous terrain est prétexte à checkpoint. L’annonce de ma nationalité déclenche invariablement un listing des footballeurs français les plus médiatiques que j’écoute patiemment en pensant à cette phrase de Coluche concernant les gardiens de la paix: on aimerait mieux qu’il nous la foutent. La vérification systématique du visa ouzbek sur mon passeport trahit un manque de confiance manifeste envers le professionnalisme de leurs homologues de la frontière et quant aux fouilles je suis souvent déçu: soit vous vous abstenez soit vous inspectez le type jusqu’au plus sombre recoin de son sac et de sa personne. Mais ce coup d’oeil désinvolte sur le dessus de mes affaires et ce passage sans conviction du détecteur de métaux est tout juste bon à attrapper les criminels dont l’amateurisme ne présenterait de toute façon aucun danger.
L’année prochaine l’Ouzbekistan s’ouvre au tourisme. Pour les français, l’exemption de visa ne concernera que les plus de 55 ans parce que le terrorisme c’est un hobby de jeune. J’introduis mon petit jeton de manège dans la fente du tourniquet et descend me décongeler dans la chaleur underground qui réveille de beaux souvenirs russes.
A Chorsu, la halle remballe mais les oiseaux continuent de piailler autour de l’immense coupole du parlement des marchands.
Je change 100 dollars et j’ai l’impression d’avoir vendu trois kilos de drogue. J’ai 20 centimètres de billets de 1000 c’est a dire de 14 centimes. Les restaus se payent en brique, et la petite monnaie se rend en paquets d’allumettes. J’ai appris à compter les bifetons comme un dealer.
Les marchands esquivés, Tachkent est une vraie capitale avec des lieux de culture pour toutes les cultures et des gens curieux et ouverts sur l’extérieur comme les membres du club de photographie auquel m’introduit une francophile rencontrée sur une page facebook. C’est sur son conseil que je vais faire un tour dans les montagnes pres de Tachkent.
Des suites d’un trajet dans un train russe qui n’avait d’électrique que l’alimentation, on finit par atteindre le milieu de nulle part qui boude sous un temps des plus anglais qu’on puisse imaginer. Heureusement je suis avec un connaisseur d’outre-Manche également doté de cet humour dont Pierre Deprosges écrivait qu’il est la politesse du désespoir. Nous rions gris, et bientot noir puisque qu’on ne sait plus qui de la neige ou de la nuit tombe sur l’autre. Ça se présente mal.
Espérant trouver refuge dans un sanatorium pour tuberculeux, nous enageons la conversation avec deux originaux qui trainaient encore dehos et qui nous reconduisent à la porte du voisin sur laquelle nous avions tambouriné en vain. Un costaud fini par ouvrir et au lieu de me réciter la composition de l’équipe de France il me prend dans ses bras avec un sourire jusqu’aux oreilles. Au sous-sol le sauna et le billard dépassent nos espérances, la soirée finit par nous sourire comme musclor qui fait des pompes sur un bras de 45 ans. Il était parachutiste dans les forces spéciales. Pendant qu’on joue des cannes il alterne sauna et défenestration pour aller se frotter dans la neige. Mais Rambo n’a pas la tête de l’emploi, c’est une crème brûlée. Il nous prépare délicatement le thé et nous dit la main sur le coeur et le coeur sur la main qu’il nous aime bien, c’est un tendre colosse, un gars touchant comme il en existe peu.
La nuit a nettoyé le ciel. Gravissant non sans peine la première montagne qui se présente, j’aperçois au dessus de sa voisine d’en face l’horizon du grand ouest ouzbek qui m’attend.